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- La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur.

Pour une fois, Nerea n'a pas la tête au travail. Le sourire qu'elle affiche est faux, plus absent qu'autre chose. Son esprit n'est pas là. Son esprit est parti. Ailleurs. Seule la partie mécanique est toujours là. Celle qui effectue ses tâches sans réfléchir. Elle passe machinalement les articles. Sans même y penser. Comme éteinte. Éteinte, c'est bien cela. La flamme de vitalité a disparu des yeux de Nerea. La routine finit par la consumer. Elle comme n'importe qui. Triste Nerea coincée entre quatre murs, sous un plafond artificiel. Comme elle aimerait courir dans les chants, n'avoir le ciel qu'en seule frontière ! La lumière blafarde des néons fait pâlir son joli visage, la rendrait presque banale. L'ennui. C'est le seul péché sans pardon, l'ennui. La seule chose capable d'enlever à Nerea son dynamisme. Et Nerea sans enthousiasme, ce n'est plus Nerea.

Une nuance de couleur apparait dans le jour fade. Un bleu particulier. Pas un bleu nuit, pas un bleu ciel. Un bleu si différent, que Nerea reconnaîtrait entre mille. C'est le bleu synonyme d'assurance, de beauté, de mystère. D'attirance. Au bleu se mêle le rouge. Rouge qui colore les joues de Nerea. Ses doigts s'agitent, elle se hâte de passer les articles de la dame. Elle manque de renverser le bocal de compote, le pot de nutella de s'écraser sur le sol lorsqu'il échappe à ses mains tremblantes. La dame hausse un sourcil. Nerea se trompe. Elle appuie sur le mauvais bouton, recommence, annonce le mauvais montant, s'excuse. Elle subit le regard exaspéré de la dame, baisse les yeux, s'excuse à nouveau. La dame soupire, se hâte de partir. Lorsque Nerea relève les yeux, c'est Allson qui est devant elle. Elle ne le connait pas bien. Presque pas à vrai dire. Seulement quelques informations glanées ici et là. Elle sait qu'il a vingt-cinq ans, qu'il a une galerie d'art, des cheveux bleus particuliers qui ont immédiatement attiré son regard. Elle aime bien les gens bizarres, Nerea. Ils ont souvent quelque chose en plus, ce petit truc qui les rend différents des autres. Ils ont beaucoup plus d'intérêt à ses yeux. Et quelque chose dans l'attitude, quelque chose de presque irrésistible, l'attire chez lui. Tout en lui dégage un charisme important. Suffit de voir la confiance avec laquelle il s'appuie contre la caisse. Il la regarde. Un sourire s'étend sur ses lèvres, et Nerea se sent rougir. Elle a l'impression qu'il lui ait adressé. Pas comme à une simple caissière qu'on croiserait comme ça, à elle en particulier. Elle se morigène. Il a vingt-cinq ans. Il est plein d'assurance. Il a une galerie d'art. Pourquoi est-ce qu'il lui sourirait ? Pourquoi est-ce qu'il s'intéresserait à elle ? Qu'elle peut se trouver stupide. Mais elle ne peut s'empêcher de lui adresser un grand sourire. Elle s'occupe de ses courses avec une minutie presque exagérée. Elle prend le plus de temps possible. Comme si les quelques secondes qu'elle pouvait gagner avec lui lui permettraient de se rapprocher un peu plus. Idiot. Elle n'est qu'une gamine. Pourquoi aurait-elle un quelconque intérêt à ses yeux ? Elle passe une main sur son visage, comme pour masquer le rouge de ses joues. Elle prend son courage à deux mains. Lève les yeux vers lui. Sourit avec l'innocence d'une gosse. Décolle une main hésitante de ses joues pour la passer dans ses cheveux. Bonjour, elle lance d'une voix peu assurée. Et puis elle se rappelle qu'elle porte la même robe qu'hier, la robe un peu fade qu'elle a depuis longtemps. Et que ses cheveux ne sont même pas coiffés. Ses yeux ne sont pas maquillés. Ses lèvres sont ternes. Graziela de la caisse d'à côté lui a dit qu'elle avait l'air fatiguée, ce matin. Elle baisse les yeux. Elle n'a décidément pas la moindre chance. Pire, elle se ridiculise.