Δ detlev, tu crois qu'un jour on arrivera à s'en sortir ?
Je le regarde, celui qui vient de me poser la question. Il y a encore quelques marques rouges sur mon bras. En ce moment, je plane. Je suis loin, très loin de la réalité. J'ai même pas envie d'y répondre à sa question. Je préfère vivre dans ma bulle d'euphorie, parce que c'est trop bon. Je suis comme un bienheureux : c'était de la came extra. On en a eu pour cher, mais ça a eu un effet remarquable. Et dire qu'il y a même pas une heure je tremblais comme un fou parce que j'avais pas eu ma dose. « Je sais même pas si j'ai envie de m'en sortir. » je murmure, puis m'allonge dans le canapé de mon pote, un sourire un peu idiot, un peu béat sur les lèvres. Je crois même pas qu'on peut se sortir de ce merdier. Parce que de la merde, j'en ai jusqu'au cou. J'ai besoin de cette drogue pour m'évader, je n'ai même pas envie de tenter un sevrage. Les toxicos qui ont tenté de se sevrer ont jamais réussi, ils ont tous replongé. Je n'ai ni la force physique, ni la force psychologique de me battre pour aller mieux. « On est tous au fond du gouffre. J'ai besoin de cette drogue pour survivre. Si j'arrête, je lâche prise, moi. » je ferme les yeux, et ma voix se fait inaudible. On ne peut pas s'arrêter comme ça, il faut y aller doucement. Mais j'ai toujours été trop con pour me rendre compte de ça. Les drogues dures m'ont toujours attirées, et maintenant, ces drogues me coulent jour après jour, elles réduisent mon espérance de vie à un tout petit nombre. Mais je m'en fous. Parce que j'ai plus rien à perdre. Le seul responsable de cette merde, c'est mon père. Et j'espère qu'il culpabilise, ce connard. « J'suis pas heureux, tu sais. Alors la drogue, ça me fait croire au bonheur. Et les illusions, c'est beau. » j'ai beau être en train de planer, je suis convaincu par ce que je dis. Je suis pas sûr que le bonheur existe, alors j'essaie d'y croire. J'ai l'impression que ma bulle d'euphorie est incassable, que je pourrais m'y lover dedans tant que j'en aurais envie. Un coup de mou ? Une piqûre et c'est reparti. Mes journées sont rythmées ainsi. Et j'aime ce mode de vie. C'est lâche de fuir la réalité, de se voiler la face. Mais mon Dieu que c'est bon. Même si mon faux bonheur coûte cher, je veux continuer à y croire. Si il faut, je crèverais avec la seringue dans le bras. « Et puis moi j'm'en fous. Je veux pas m'en sortir. »
Δ mec t'as les pupilles éclatées, t'as pris quoi?
Un coup d’œil dans la glace permet de confirmer les paroles du mec. Mes pupilles sont énormes. Je me suis fais un gros shoot, histoire de bien planer, d'avoir la paix. Sauf que ce gars-là il sait pas que je me drogue, et j'ai pas non plus envie d'être affiché comme le toxico du coin. Mes mains se mettent à trembler, alors que je repère ma seringue encore rougie par mon sang un peu plus loin, et la cuillère posée à côté. Je passe mes doigts tremblants dans mes cheveux, ne réponds rien puis me presse vers mes ustensiles, les fourrant dans ma poche avec cette même précipitation. « Quoi ? J'ai les pupilles éclatées, tu dis ? » je passe pour un pauvre imbécile, tant pis, c'est devenu un lot quotidien, après tout. je regarde à nouveau mon reflet dans le miroir, et je me rabaisse moi même. Pauvre con. Ton pote vient de cramer que tu te shootais, à part ça, tout va bien, t'es pas dans la merde. Et puis c'est pas comme si il connaissait ta mère hein. Je flippe, parce que si elle est au courant, Detlev, c'est fini. Je flippe tellement que j'aurais besoin d'une autre piqûre, ou encore de fumer un truc bien hard. Je plisse les yeux. J'ai plus le choix, faut que j'y aille avec les menaces. Il va tellement avoir les boules qu'il osera plus m'approcher. Tant pis pour lui, c'est ma vie que je sauve en disant ça. « Écoute, mec. Si t'as le malheur de parler de ça à n'importe qui, demain matin tu vas te retrouver avec une seringue dans le cou, je vais te faire un hot shot et je te promets que tu vas pas survivre. » j'aperçois comme une sorte de peur, dans ses yeux, et ça me conforte dans l'idée que je me suis mis à l'abri. Je m'autorise un soupir soulagé. Detlev t'es le roi des cons et l'empereur de la merde.
Δ coucou baltringue, tu me répares cette caisse qui fuit sa race depuis deux jours, et je passe la chercher dans une heure. si dans une heure c'est pas fait, t'auras des nouvelles des bloods, petit père, et pas les meilleures..
Je suis penché sur le capot d'une voiture, en train de la repeindre car elle vient d'être remise à neuf. Une voix bourrue résonne dans mon dos, je me raidis brusquement, je me retourne lentement, puis aperçois une renoi qui appartient à un gang. Je frissonne. Je vois la caisse arrêtée à côté de moi, une flaque d'huile est déjà en train de se répandre au sol. « T'inquiète, mec, je te fais ça tout de suite. » en fait, j'ai surtout pas envie de me faire démonter ou de finir avec une balle dans la tempe. Je sens des tremblements gagner mon corps. Pitié. Pas une crise de manque, pas maintenant. Je panique, sors une cigarette en vitesse et la fume. Ça me relaxe pendant dix minutes, mais c'est pas encore ça. Merde, la bagnole ! Je me retourne vers cette dernière, me glisse dessous, joue de mes doigts habiles dessous. Je répare quelques trucs sans importance, y a un trou dans le pot d'échappement. Je le démonte en vitesse, puis va le remplacer par un nouveau flambant neuf. Je vais probablement me faire démonter par mon boss parce que j'use de la ''belle marchandise'', mais si je lui raconte que j'aurais pu mourir avec une balle dans la tête, ça va le calmer, et il dira de moi que je suis un bon mec. J'ai toujours été à la recherche de compliments, c'est très important, pour moi. Les tremblements s'accentuent, alors je fais des petits trucs en plus sur la caisse, ça m'occupe, ça m'évite de me focaliser sur mon prochain shoot. Après plus de trois quart d'heure de travail acharné, je contemple la voiture. Pas mal, pas mal. À chaque fois, je me donne à fond, je me sens utile, ça change de d'habitude. Je contourne la caisse, passe un coup de vernis sur les endroits un peu ternes. À défaut de pouvoir vivre longtemps, je donne une seconde vie aux objets. Ça compense, et les gens sont généralement content.